Par Hervé Lefebvre
Cabinet LH et associés, expert en estimations immobilières, valeurs locatives et fonds de commerce prés de la cour d’appel d’Amiens, chargé d’enseignement à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), Recognised European Valuer – REV,
membre de la CNEJI

L’article R. 145-10 du code de commerce précise que, par dérogation aux articles L. 145-33 et R. 145-3 et suivants du même code, le prix du bail des locaux construits en vue d’une seule utilisation peut être déterminé selon les usages observés dans la branche d’activité considérée.

C‘est ainsi que la valeur locative des hôtels, qui sont de par leur nature des locaux monovalents, c’est-à-dire que, sauf à effectuer de très importants travaux de transformation, ils ne peuvent être utilisés pour une autre activité, s’apprécie selon les usages observés dans la branche d’activité.

L’origine de la méthode hôtelière

Dans les années 1960, le contrôle administratif des prix des chambres d’hôtel a imposé aux experts immobiliers de rechercher une nouvelle méthode de calcul de la valeur locative des hôtels, la méthode métrique ne pouvant désormais plus être raisonnablement retenue.

On relèvera par ailleurs que, par arrêté du 18 octobre 1988 qui faisait suite à l’arrêté du 8 juin 1967, les hôteliers sont soumis à une obligation d’information de leurs clients quant aux prix pratiqués, l’affichage devant être de manière lisible à l’extérieur de l’établissement, à la réception et dans chaque chambre.

Les experts se sont alors penchés sur la façon d’évaluer la valeur locative des immeubles construits en vue de la seule utilisation d’hôtel, ce qui déboucha sur « la méthode hôtelière ». Celle-ci traversera les décennies avec quelques aménagements au fil des ans, imposés par la modification régulière des modes de management des hôteliers.

Cette méthode consiste à déterminer un pourcentage de la recette annuelle de l’hôtelier devant revenir au propriétaire des murs.

Le taux de rendement ou pourcentage sur recette, qui représente la part des recettes devant rémunérer le bailleur, varie en fonction la catégorie de l’hôtel. Il s’établissait ainsi jusqu’à la loi Novelli de juillet 2012 :

  • hôtel préfecture : 17 à 20% ;
  • hôtel 1 étoile : 15 à 16% ;
  • hôtel 2 étoiles : 14 à 15% ;
  • hôtel 3 étoiles : 13 à 14% ;
  • hôtel 4 étoiles : 11 à 12%.

Cependant, le bailleur n’étant pas l’associé du preneur, il ne s’agitait pas d’appliquer ces pourcentages sur la recette obtenue par l’exploitant, mais de déterminer la recette théorique hors taxes à partir des prix affichés, et de lui appliquer un pourcentage devant revenir au propriétaire des murs, à laquelle était appliqué un taux d’occupation en fonction de la catégorie de l’hôtel et de sa situation géographique. Au début, il était d’usage de tenir également compte des recettes générées par les petits déjeuners et de déduire le pourcentage de service (15%).

Toutefois, depuis deux arrêts de la cour d’appel de Paris de 1996, le pourcentage de service n’est plus déduit, et il n’est plus tenu compte des recettes d’hébergement, parce que, entre autres, la prestation du petit déjeuner s’apparente à un service offert à la clientèle.

Les adaptations des dernières décennies

Au fil des ans, le mode l’exploitation des hôtels a fortement évolué, obligeant à quelques modifications ou tout au moins à quelques « réglages » de ladite méthode hôtelière.

Dans les années 1980, certains hôteliers ont, pour obtenir un meilleur taux d’occupation, commencé à consentir des réductions de prix de location des chambres par rapport aux prix affichés, en ayant notamment recours à des tour-opérateurs (qui se rémunèrent en prenant 12 à 20% de commission en moyenne sur le prix de la chambre).

Il est urgent d’adapter
la méthode hôtelière
aux nouveaux modes de management des hôteliers
et aux nouvelles règles
législatives.

Cela eut pour effet de « gonfler » artificiellement les taux d’occupation moyens et de créer un déséquilibre avec les hôteliers appliquant strictement les tarifs affichés. Ce phénomène eut inéluctablement un impact sur la valeur locative, pénalisant ainsi les hôteliers qui n’offraient pas de réduction à leur clientèle, puisqu’ils se voyaient appliquer un taux d’occupation moyen plus élevé que celui effectivement obtenu.

C’est ainsi qu’au début des années 1990 fut insérée dans la méthode hôtelière une notion de segmentation de clientèle et de remise sur prix affichés, pour « corriger » l’inégalité entre les exploitations effectuant des remises et celles qui n’en pratiquaient pas.

Le calcul de la valeur locative s’effectuait désormais ainsi :

Recette maximale x (taux d’occupation moyen) x (% remises à la clientèle) x (% recette) = valeur locative.

Toutefois, l’évolution de la vie, et notamment la révolution technologique apportée par internet, a profondément modifié le mode de management des hôteliers.

En effet, l’apparition du commerce des chambres en ligne a obligé les hôteliers à octroyer des remises de plus en plus fréquentes et importantes à leur clientèle pour faire face à une concurrence accrue.

Désormais, la clientèle se fonde sur tarif nommé le best available rate (BAR), et le yield pratiqué quotidiennement (tarification flexible) et la parité exigée sur les différents canaux de distribution rendent impossible toute échelle de remises accordées à la clientèle.

Dés lors, le coefficient d’abattement pour tenir compte des remises accordées à la clientèle devient difficile à appréhender et, dans tous les cas, très imprécis !

De même, le taux d’occupation obtenu par l’exploitant, qui est directement lié aux réductions tarifaires accordées, s’en trouve tronqué. Il paraît en conséquence difficile de rechercher la véritable et juste valeur locative d’un hôtel en s’appuyant sur deux composantes majeures de la méthode hôtelière qui sont pour le moins très incertaines et qui ne reflètent plus la réalité.

De même, le développement des locations Airbnb contribue à la baisse des prix de location des chambres d’hôtel. En effet, les propriétaires d’appartement sont de plus en plus tentés de louer leur bien en Airbnb, sachant qu’un deux-pièces bien situé à Paris peut atteindre 1 000 € par semaine, soit 143 €/j, un prix inférieur à la plupart des tarifs de chambres d’hôtel 3 et 4 étoiles.

Pour illustrer nos propos, il convient de rappeler qu’une étude d’une association de tourisme professionnel (AhTop) portant sur l’île Saint-Louis, à Paris 4e, y a recensé 314 appartements offerts à la location dite « collaborative », soit 17% des logements de l’île, alors que celle-ci ne compte que 90 chambres d’hôtel réparties en quatre hôtels (trois de 3 étoiles et un de 4 étoiles). On comprend alors la difficulté qui s’ajoute pour l’exploitant pour obtenir un taux d’occupation élevé ; il ne peut y parvenir qu’en s’éloignant des prix affichés, c’est-à-dire en « cassant les prix » de location de ses chambres.

Dans les années 2000, l’apparition des catégories 5 étoiles et la création du label « Palace » ont imposé une nouvelle modification des correctifs appliqués sur la recette théorique maximale. Ainsi, une nouvelle classification hôtelière est entrée en vigueur le 27 décembre 2009, et mise définitivement en application le 23 juillet 2012 (loi Novelli). L’ancienne a, en conséquence, définitivement cessé de s’appliquer à compter de cette date.

Cette nouvelle classification découle d’une volonté d’alignement sur les autres pays européens en remplaçant les 30 critères réglementaires de la classification officielle précédente par 246 critères dont certains sont obligatoires. Le but recherché étant d’inciter les exploitants à améliorer la qualité de leur service et de leurs équipements.

Ainsi, désormais, il existe sept catégories d’hôtels avec des taux de recette qui s’établissent ainsi :

  • hôtel préfecture : 20 à 25% ;
  • hôtel 1 étoile : 19 à 20% ;
  • hôtel 2 étoiles : 16 à 18% ;
  • hôtel 3 étoiles : 15 à 16% ;
  • hôtel 4 étoiles : 13 à 14% ;
  • hôtel 5 étoiles : 12 à 13% ;
  • palace : 11 à 12% ;

Les usages préconisent donc de rechercher la valeur locative ainsi :

recette théorique maximale hors taxes x taux d’occupation x % de remises à la clientèle x taux de recette nouvelles normes,

sans perdre de vue que, ainsi que nous l’avons exposé précédemment, l’appréciation du pourcentage de remises à la clientèle et du taux d’occupation est devenue pour le moins empirique.

In fine, il est d’usage d’appliquer un dernier abattement lorsque l’exploitant a effectué d’importants travaux d’amélioration. En effet, l’article L. 311-4 du code de tourisme précise que, pendant la durée du bail en cours et celle du bail renouvelé qui lui fait suite et pour une durée de douze années à compter de l’expiration du délai d’exécution, le bailleur ne peut prétendre à aucune majoration de loyer du fait de l’incorporation à l’immeuble des améliorations résultant de l’exécution des travaux.

Dés lors, le locataire qui aura respecté le formalisme de l’article L. 311-2 du code du tourisme, en notifiant au bailleur (par lettre recommandée avec demande d’avis de réception) son intention de procéder à des travaux et en joignant un plan d’exécution, ainsi qu’un devis descriptif et estimatif des changements projetés, et sous réserve que le bailleur ait autorisé lesdits travaux, pourra alors prétendre à un abattement sur la valeur locative pour tenir compte des travaux d’amélioration de l’immeuble loué.

Reste à déterminer le niveau d’abattement, qui peut varier entre 5% et 40 à 50% en cas de travaux de restructuration lourds de l’hôtel ayant notamment permis le classement de l’établissement dans une catégorie supérieure.

Cette méthode d’appréciation de la valeur locative dite « méthode hôtelière » est jusqu’à présent appliquée de façon systématique par l’ensemble des experts immobiliers spécialistes de la propriété commerciale.

Malheureusement, si elle était parfaitement adaptée avant l’évolution de la vie moderne, contraignant les hôteliers à bouleverser leurs modes de gestion et de management, elle n’apparaît plus fiable aujourd’hui, puisqu’elle repose sur un mode de calcul dont les composantes sont empiriques :

  • remises totalement aléatoires et variant quotidiennement ;
  • taux d’occupation biaisé par les remises et ne permettant pas de comparaison fiable avec d’autres exploitations ne pratiquant pas de remises identiques ;
  • pourcentages d’abattement pour travaux devenus difficilement appréhendables.

De plus, la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, dite « loi Pinel » entrée en vigueur le 1er septembre 2014, et le décret n° 2014-1317 du 3 novembre 2014 sont également venus bouleverser l’équilibre des baux commerciaux en interdisant d’imputer certaines charges aux preneurs, notamment les grosses réparations de l’article 606 du code civil et les travaux prescrits par les autorités administratives.

Or l’essence même de la « méthode hôtelière » repose sur le fait que, dans la majorité des cas, l’hôtelier supporte lesdits travaux. La méthode d’appréciation de la valeur locative tenait donc logiquement de cet état de fait, et l’on constate d’ailleurs que les loyers des immeubles exploités en hôtels sont, à surface égales, bien moins élevés que ceux des immeubles exploités pour d’autres activités commerciales (bureaux, par exemple). La prise en charge des travaux par l’exploitant justifiait la minoration des loyers résultant du calcul par « les usages observés » dans l’hôtellerie.

Dés lors que l’équilibre du bail se trouve modifié par la prise en charge obligatoire par le bailleur des travaux prescrits par l’autorité administrative, lesquels peuvent être extrêmement lourds en hôtellerie en raison des nombreuses normes sécuritaires, et d’accessibilité notamment, imposées, il apparaît que la détermination du loyer des hôtels selon les usages observés dans la branche d’activité considérée n’est plus adaptée.

Il paraît, en conséquence, indispensable de procéder à un « dépoussiérage » de la méthode hôtelière afin de retrouver un équilibre du contrat de bail, et un équilibre économique entre les intérêts du bailleur et les intérêts de l’hôtelier.

En effet, il est urgent de procéder à l’adaptation de la méthode hôtelière aux nouveaux modes de management des hôteliers et aux nouvelles règles législatives.

La nécessaire adaptation de la méthode

Ainsi que nous l’avons développé ci-dessus, on ne peut que constater que la méthode hôtelière, telle qu’elle est aujourd’hui appliquée, n’est plus adaptée. Le développement des locations en ligne et celui des locations Airbnb ont littéralement bouleversé les modes de gestion des hôteliers, de sorte que les prix affichés ne veulent plus rien dire.

En effet, eu égard au nouveau mode de gestion imposé aux hôteliers du fait de la concurrence accrue, il paraît désormais inconcevable de ne pas tenir compte des résultats obtenus par l’exploitant, même si, en droit, le bailleur n’est pas l’associé du preneur.

Puisque les hôteliers fixent désormais le prix de leurs chambres en fonction du yield pratiqué quotidiennement et que la clientèle se fonde sur le best available rate, ne serait-il pas plus équitable d’estimer la valeur locative des hôtels en partant d’un prix moyen annuel de location de chambre constaté par catégorie d’établissement (nombre d’étoiles) et par quartier de Paris, ou, lorsqu’il s’agit d’estimation en province, par ville ou par secteur géographique ?

Cette méthode permettrait ainsi d’éviter l’application sur recette théorique maximale d’abattements pour remises à la clientèle, souvent très, voire trop, approximatives.

Le développement des
locations en ligne et celui des
locations Airbnb ont bouleversé
les modes de gestion des
hôteliers

Resterait alors à appliquer le taux d’occupation moyen obtenu pour des hôtels de même catégorie. L’activité hôtelière étant cyclique, il paraîtrait, là aussi, logique de ne pas retenir celui de la dernière année d’exploitation, mais par exemple, la moyenne du taux d’occupation moyen des trois dernières années. En effet, certaines années d’exploitation sont, pour des raisons extérieurs (économiques, attentats…),

moins bonnes que d’autres. À titre d’exemple, en 2015, les attentats perpétrés à Paris ont engendré une forte diminution de fréquentation, de quelque 20%, des hôtels parisiens, la clientèle étrangère ayant « déserté » la capitale française au profit de villégiatures plus paisibles…

La recherche de la valeur locative pourrait, en conséquence, s’apprécier ainsi :

valeur locative = nombre de chambres x prix moyen annuel de location de chambres pour des hôtels de même catégorie x taux d’occupation moyen des trois dernières années pour des hôtels de même catégorie.

Sur cette valeur locative, il conviendra in fine d’appliquer un abattement pour tenir compte des travaux d’amélioration effectués aux seuls frais de l’exploitant. En effet, l’article L.311-4 du code de tourisme précise que, pendant la durée de bail en cours et celle du bail renouvelé qui lui fait suite et pour une durée de douze années à compter de l’expiration du délai d’exécution, le bailleur ne peut prétendre à aucune majoration de loyer du fait de l’incorporation à l’immeuble des améliorations résultant de l’exécution des travaux.

Toutefois, pour prétendre bénéficier de cet abattement sur la valeur locative, il faut que le preneur ait respecté le formalisme de l’article L. 311-2 du code du tourisme, en notifiant au bailleur son intention de procéder aux travaux et en joignant un plan d’exécution, ainsi qu’un devis descriptif et estimatif des travaux projetés. De plus, il faut que le bailleur ait autorisé lesdits travaux.

Enfin, depuis la mise en application de la loi Pinel et de son décret du 3 novembre 2014, le bailleur ne peut plus imputer à l’hôtelier les grosses réparations de l’article 606 du code civil, ni les travaux prescrits par les autorités administratives se rapportant auxdits travaux de l’article 606 du code civile. L’équilibre du contrat de bail s’en trouve ainsi bouleversé, car, dans la très grande majorité des cas, les exploitants d’hôtel supportaient lesdites charges.

De même, si la mise aux normes d’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite (PMR) impose de toucher aux structures de l’immeuble, il appartient désormais aux bailleurs de réaliser lesdits travaux de mise en conformité.

Il s’ensuit une perte de rentabilité potentielle pour le bailleur, perte qu’il ne pourra compenser qu’en imposant à son locataire lors de la prise à bail, ou lors de la négociation de renouvellement du bail, une clause de remise en cause de l’application de l’abattement pour travaux d’amélioration. Par exemple, il est fort probable que les bailleurs insèrent une clause précisant que « lors du renouvellement de bail, le loyer ne pourra être inférieur au dernier loyer quittancé, même si le preneur a effectué au cours des douze dernières années des travaux d’amélioration susceptibles d’entraîner un abattement sur la valeur locative ».

Tant les nouveaux modes de management des hôteliers que les nouvelles règles législatives génèrent un déséquilibre du contrat de bail. Par conséquent, pour rechercher la valeur locative, une adaptation de la méthode hôtelière s’impose. Il paraît désormais inconcevable de se fonder sur des prix de chambre affichés, qui sont en totale déconnexion avec la réalité des prix effectivement pratiqués, et de ne pas tenir compte des prix de chambre appliqués par les hôteliers. Le sort des bailleurs et celui des preneurs sont désormais plus que liés, sans qu’ils soient pour autant associés.

Le nécessaire dépoussiérage de la méthode hôtelière

LH & Associés

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